La formation des opinions sur les réseaux sociaux : rencontre entre une technologie nouvelle et le fonctionnement ancestral du cerveau humain

Les facteurs sociotechniques et cognitifs de l’homme ont un impact considérables sur la circulation de l’information sur internet.  Les individus d’un même camp ont tendance à commenter, partager et liker les publications qui correspondent à leurs opinions. En faisant cela, les idées ont tendances à se radicaliser ! Dans cet article, on vous décrit les mécanismes de notre cerveau et leurs conséquences sur la diffusion de l’information sur les réseaux sociaux. 

Au lendemain du développement d’Internet, l’espoir était celui de pouvoir revivifier la démocratie et de la propager. C’était l’idée qu’internet pouvait être un forum d’idées, d’échanges et de délibérations démocratiques. En effet, le web est le lieu parfait pour permettre à tous types de personnes de communiquer entre elles de manière simple et gratuite. Si l’on donne la possibilité à des personnes de milieux différents de communiquer entre elles, on leur permet également de mieux se comprendre.

Cet espoir ne s’est malheureusement pas réalisé puisque l’on remarque que le forum d’échange est devenu un espace de discussion polarisé. Pour comprendre comment les opinions et l’information circulent sur internet, il faut tenir compte des facteurs sociotechniques et cognitifs.

Des études ont démontré que l’on échange principalement avec des personnes qui partagent nos opinions sur les réseaux sociaux. Ainsi, les individus du même camp ont tendance à commenter, partager et liker les publications qui correspondent à leurs opinions. En faisant cela, les idées ont tendances à se radicaliser ! Tout le contraire d’une délibération démocratique. Pour comprendre comment la polarisation des opinions se met en place, il faut considérer le fonctionnement naturel de notre cerveau qui se trouve renforcé par le mécanisme des réseaux sociaux.

#1 A la recherche de similitudes…

Notre cerveau a tendance à rechercher des personnes issues du même contexte social que le nôtre. Le sociologue Pierre Bourdieu, dans les résultats de ses études, mentionne que les personnes qui ont des capitaux culturels et économiques proches ont tendance à se mettre ensemble plus facilement que les personnes qui ont des profils sociaux différents. La similarité est également considérée comme un facteur de proximité par notre système cognitif. L’homophilie (la préférence pour la similarité) est ainsi à l’origine de deux mécanismes affiliatifs naturels que l’on va maintenant développer : l’imitation et le conformisme social. Ces mécanismes inconscients, nous les retrouvons sur les réseaux sociaux. Ils nous permettent de créer du lien avec les autres et ils alimentent le fonctionnement des réseaux sociaux pour aboutir à cette polarisation des opinions.

#2 Imiter pour se faire accepter…

L’imitation est un processus qui se voit très tôt chez les enfants et doit être considéré comme une forme de communication sociale. Faire la même chose revient à dire « je suis comme toi », c’est donc un moyen de renforcer l’acceptation que la personne ou le groupe va nous octroyer. Nous imitons les autres même inconsciemment par peur de se voir d’être ostracisé (rejeté du groupe) et dans le but de créer du lien avec les autres. En imitant les autres on obtient leur considération.

#3 Se conformer pour ne pas être rejeté

Le conformisme social, quant à lui, représente notre tendance à se caler sur les opinions des personnes qui sont proches de nous ou sur celles de la majorité. Ce mécanisme a été illustré dans l’expérience de Asch. Nous souhaitons être acceptés et nous avons une peur inconsciente de paraître différent. Puisque notre préférence pour la similarité nous conduit à nous constituer un groupe d’amis qui se ressemblent socialement et qui ont des idées proches des nôtres, nous aurons également tendance à nous conformer dans notre discours aux opinions qui y circulent. La volonté d’être reconnu et accepté dans notre groupe ainsi que de voir nos publications aimées, partagées et commentées vont renforcer cette tendance au conformisme social. Cette tendance au conformisme se complète par une tentation à la surenchère menant à des opinions polarisées. En effet, lorsque l’on s’exprime sur des sujets politiques ou moraux sur les réseaux sociaux, on aura tendance à en dire plus que ce que l’on pense vraiment. La facilité d’expression et notre volonté de montrer que l’on est un exemple nous mènent à devenir extrême et à ne pas pouvoir peser le poids de nos propos par moment. Un groupe d’individu tend donc à prendre des décisions plus poussées que les inclinaisons naturelles de ses membres.

#4 Le biais de confirmation

Un autre mécanisme qui joue un rôle dans la polarisation des opinions est « le biais de confirmation ». Nous avons également tendance à chercher à confirmer ce que l’on pense et non à l’infirmer. La réfutation est une stratégie forte de la connaissance, cependant, nous nous trouvons dans une situation plus confortable lorsque l’information qui se présente à nous entre en harmonie avec ce que l’on croit déjà. Ce biais joue également un rôle dans la polarisation puisque l’on cherchera des informations qui confirment les croyances de notre groupe pour créer des généralités, contre celles qui les remettent en question. La confirmation est un mécanisme simple et efficace qui a permis à l’homme d’éviter des pièges dans son processus évolutif.

Les mécanismes de polarisation sont donc aussi vieux que notre cerveau mais se trouvent renforcés par le fonctionnement des réseaux sociaux. On appelle ça une chambre d’écho ou une bulle de filtre, cela signifie que l’on est entouré d’informations similaires qui vont dans le sens de nos croyances. Ainsi, nous sommes dans des situations où l’on peut éviter la dissonance cognitive, c’est à dire lorsque des informations entre en contradiction avec nos croyances. Sur les réseaux sociaux, on se crée un réseau d’amis qui se ressemblent (préférence pour la similarité sociale) puis on a accès à de l’information en fonction de ce même réseau et de notre comportement d’utilisation. Ainsi, s’enfermer dans une chambre d’écho est un processus inconscient et progressif. L’algorithme de personnalisation participe à cela puisqu’il se charge de nous montrer des informations en fonction des amis que l’on a et des publications que l’on a aimées et partagées. L’objectif premier des réseaux sociaux est de « faire de l’argent » en fonction du temps qui est passé sur le réseau en question. Afin que l’on passe le plus de temps possible, l’algorithme se charge de nous « mettre bien », comme lorsqu’un hôte tient à mettre à l’aise son invité. De ce fait, nous sommes confrontés de manière automatique à des individus qui partagent nos prises de position, nos avis et peut-être même qu’ils nous ressemblent, du moins socialement.

Pour conclure, cet article vise à rendre attentif aux informations qui se présentent sur les réseaux sociaux et veut vous encourager à aller chercher de l’information chez le camp « adverse » avant de vous forger votre opinion. Soyez curieux !